● Conférence de presse CGT sur le temps de travail

Le secrétaire général de la CGT a tenu une conférence de presse ce 17 janvier 2011 avec comme thème principal le temps de travail et les 35 heures.
Montreuil le 17 janvier 2011

Mesdames, Messieurs,

La décision du Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe conclut à la violation par la France. Cette décision intervient à la suite d’une réclamation collective de la CGT, une autre décision avec les mêmes éléments ayant été rendue le même jour suite à la réclamation émanant d’une autre organisation syndicale française. Cette décision éclaire le débat que certains ont jugé utile de lancer sur les 35 heures, mais aussi le débat au niveau européen sur la révision de la directive européenne sur le temps de travail. Je souhaite vous livrer succinctement quelques éléments d’appréciation et vous indiquer ce que la CGT compte entreprendre pour tirer les conséquences des décisions des instances européennes. La CGT aborde ce dossier éminemment sensible du temps de travail et des rémunérations de façon offensive et n’entend pas laisser le champ libre aux offensives anti-sociales qui se développent en France comme en Europe.

1°) L’état des lieux des 35 heures en France

Les lois instaurant les 35 heures ont été adoptées en 1998-1999. Elles ont ramené la durée légale de travail à 35 heures à compter du 1er janvier 2000 moyennant la généralisation et la pérennisation d’exonérations de cotisations sociales. Les entreprises de moins de 20 salariés disposaient de 2 ans supplémentaires pour s’y plier à leur tour. Mais en 2003, un changement de cap est intervenu avec l’extension à toutes les entreprises de l’aide prévue dans la loi Aubry 2 et la décision d’ouvrir un contingent annuel d’heures supplémentaires à toutes les entreprises n’ayant pas signé d’accord de RTT afin de pouvoir de facto travailler 39 heures. La généralisation des 35 heures a été stoppée net. Le contingent d’heures supplémentaires a été progressivement relevé. Il est fixé à 220 heures annuelles, sauf pour les salariés au forfait en jours ou en heures.

Aujourd’hui, selon le « portrait social de la France 2010 » de l’INSEE :

Seuls 50% des salariés sont à temps complet toute l’année et effectuent en moyenne 1820 heures de travail soit en moyenne 39 heures. Au sein de cette population, on trouve d’une part des salariés qui ne sont pas aux 35 heures, notamment dans les entreprises de moins de 20 salariés. De plus, 48% des salariés aux 35 heures effectuent des heures supplémentaires,

  •  17% des salariés sont à temps partiel, 29% des femmes sont à temps partiel,
  •  33% des salariés sont dans des situations intermédiaires : alternance de périodes de travail et de périodes de chômage, activité partagée entre plusieurs employeurs.

Cette moitié du salariat qui n’est pas à temps complet toute l’année aimerait travailler plus (elle accomplit en moyenne 1250 heures de travail dans l’année, soit nettement moins de 30 heures par semaine). La rémunération est amputée d’autant. Les conséquences sur le niveau de vie sont considérables. La prise en compte du temps réellement travaillé sur l’année (temps partiel, chômage, attente entre deux emplois …) multiplie ainsi par 3 les inégalités salariales constatée sur la base du temps plein.

Voilà le réel problème du temps de travail qui devrait être posé.

2°) La décision du comité européen des droits sociaux (CEDS)

A la suite de la plainte de la CGT, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe a déclaré contraire à la Charte sociale européenne révisée la législation française en matière de temps de travail sur deux points essentiels : les forfaits en jours et les astreintes.

Le Comité européen des droits sociaux a transmis ses décisions au Comité des ministres du Conseil de l’Europe.

Celui-ci peut adopter des résolutions pour inciter les États à se mettre en conformité. Il s’agit de « résolutions » sans sanctions qui n’ont qu’une valeur diplomatique.

 Sur le régime des forfaits en jours, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) s’appuie sur le fait qu’aucune limite n’est prévue pour la durée hebdomadaire du travail dans le système du forfait en jours. C’est, par conséquent, la règle du repos minimum prévue par le code du travail qui entraîne une limitation de la durée hebdomadaire du travail. Ce repos hebdomadaire doit être de 35 heures consécutives, à savoir 24 heures de repos hebdomadaire auxquels s’ajoutent 11 heures de repos quotidien. Cela implique que, quelles que soient les circonstances, les salariés concernés peuvent travailler jusqu’à 78 heures par semaine. Le Comité estime qu’une telle durée est manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable ». C’est ce qui conduit le Comité à considérer que la situation des salariés avec forfaits en jours sur l’année constitue une violation de la Charte révisée en raison de la durée excessive du travail hebdomadaire autorisée, ainsi que de l’absence de garanties suffisantes.

 Sur la rémunération des salariés au forfait en jours, le Comité constate que, par leur nombre et la nature des fonctions qu’ils exercent, les cadres et autres salariés assimilés n’entrent manifestement pas dans les exceptions prévues en matière d’heures supplémentaires et estime en conséquence que les heures de travail effectuées par les salariés soumis au système de forfait en jours sont anormalement élevées. C’est donc une infraction à la législation sur les heures supplémentaires.

 Sur le régime des astreintes, il est décidé par le Comité européen des droits sociaux que l’assimilation des périodes d’astreinte au temps de repos constitue une violation du droit à une durée raisonnable du travail et aux règles applicables au repos hebdomadaire.

3°) Les actions que la CGT va engager, forte de la décision du CEDS sur le temps de travail

C’est une décision d’une grande portée, puisqu’elle concerne potentiellement plusieurs millions de salariés qui travaillent en France. On peut par exemple évaluer à 10% des salariés à temps plein le nombre de salariés travaillant au forfait en jours et à 8% de la totalité des salariés. Nous ne disposons pas du nombre de salariés concernés par les astreintes.

Je rappelle tout d’abord que les décisions du Comité européen des droits sociaux (CEDS) « s’imposent » à l’État concerné. Il appartient donc au gouvernement français ainsi qu’aux entreprises établies en France de se mettre en conformité avec la charte.

 En premier lieu, la CGT va interpeller le Gouvernement français et les groupes parlementaires pour qu’ils modifient la législation interne sur le temps de travail afin de la mettre en conformité avec ces décisions. Il devrait donc déposer un projet de loi en ce sens. Lors des précédentes condamnations sur cette question en 2004, le gouvernement français était resté inactif. Nous sommes lucides par rapport à la résistance qui se manifestera par rapport à notre démarche, mais nous ne laisserons pas le gouvernement utiliser uniquement les décisions européennes pour justifier des réformes contraires aux intérêts des salariés. L’attitude sélective consistant à ne retenir des décisions européennes que celles qui peuvent lui servir à amoindrir les droits sociaux sera de plus en plus difficile à tenir car la pression du Conseil de l’Europe s’accroît avec ces nouvelles condamnations et avec les conclusions du CEDS concernant la France pour l’année 2010.

Les employeurs doivent savoir que certains qu’ils ont conclu sur la base de la législation française sont considérés comme contraires à la charte sociale européenne et à ce titre sont condamnables comme d’autres expériences l’ont montré comme ce fut le cas pour le Contrat nouvelle embauche.

 La CGT demande en conséquence aux employeurs de rouvrir des négociations collectives avec les organisations syndicales représentatives sur les accords qui sont réputés non conformes et qui placent les entreprises dans une situation d’insécurité juridique. La CGT se réserve bien sûr la possibilité d’ouvrir des contentieux devant les Tribunaux de grande instance, en s’appuyant sur les décisions du CEDS, notamment pour obtenir la suppression de dispositions d’accords collectifs contraires à la Charte. La confédération CGT incite les syndicats d’entreprise et les salariés à être offensifs afin d’obtenir la remise en cause des dispositions de la législation du travail contraires à la Charte sociale européenne par l’action syndicale.

La CGT demande à ses organisations d’étudier l’opportunité d’engager des procédures devant les Conseils de prud’hommes, afin d’obtenir pour les salariés des dommages intérêts pour des durées du travail excessives et des absences de repos ou de paiement de majoration pour heures supplémentaires.

J’ajoute que l’Etat est aussi concerné par cette insécurité juridique puisque des entreprises qui seraient condamnées pour non respect de la charte sociale européenne, pourraient se retourner contre l’Etat français qui a méconnu ses engagements internationaux sur le temps de travail en adoptant la loi aujourd’hui dénoncée.

4°) La Directive européenne sur le temps de travail

Au niveau de l’Union européenne, Les décisions de la CEDS vont peser dans le cadre de la révision de la directive européenne du 4 novembre 2003.

La Commission européenne a en effet engagé la seconde phase de consultation le 21 décembre 2010 et la Confédération européenne des syndicats (CES) a déjà fait savoir que, malgré certaines avancées, la nouvelle proposition de la Commission n’était pas satisfaisante. La Commission va devoir tenir compte de cette décision, notamment en matière de durée du travail hebdomadaire, de paiement des heures supplémentaires et de droit au repos (hebdomadaire et entre deux journées de travail). Comme le rappelle le Comité européen des droits sociaux, tous les États de l’UE ayant ratifié la Charte, ils doivent, quelles que soient les dispositions de la directive européenne, prendre des mesures pour assurer « un exercice concret et effectif des droits figurant dans les articles de la Charte ».

5°) Le débat sur les 35 heures, le coût du travail et la compétitivité des entreprises

L’offensive contre les 35 heures se développe sur trois axes :

 Premier axe : dans l’objectif de redresser les finances publiques, il s’agirait de transférer la charge des allègements de cotisations sociales consenties aux entreprises sur les salariés. Relever le seuil de déclenchement du paiement des heures supplémentaires est le levier imaginé par une partie de la majorité actuelle pour y parvenir. Ce serait un marché de dupe. Les salariés l’ont bien compris, comme le montre le sondage publié par l’Humanité, indiquant qu’une très forte majorité de Français, 56% exactement, est opposée à la remise en cause des 35 heures. Parmi les salariés, cette opposition est plus forte encore : 71% des salariés du public et 63 % des salariés du privé sont opposés à la remise en cause des 35 heures. Une opposition qui monte même à 77% parmi les salariés bénéficiant des 35 heures. Seule consolation pour les instigateurs de cette remise en cause, 56% des inactifs y sont favorables.

 Second axe : il s’agirait « d’abandonner toute référence nationale à une durée du travail ». Horaires de travail, heures supplémentaires, organisation du temps de travail ne relèveraient plus de la loi mais des seuls accords contractuels dans l’entreprise. Les garanties salariales seraient considérablement réduites. Le système proposé ferait du temps de travail un élément direct de concurrence entre entreprises. Ce serait un retour en arrière de près d’un siècle, lorsque « la loi sur les huit heures » a été instaurée en 1919. C’est pourquoi nous avons décidé de décliner la proposition de rencontre de Jean-François COPE, secrétaire général de l’UMP (vous trouverez la lettre que je lui ai adressée dans votre dossier).

 Troisième axe : il s’agirait « d’améliorer la compétitivité de l’économie française ». Cet objectif, repris par le président de la République, coiffe l’ensemble. Le problème de compétitivité est réel, mais n’est aujourd’hui ni celui du temps de travail, ni celui du coût du travail. Les allemands travaillent 70 heures de moins que les français par an. Le coût d’une heure de travail dans l’industrie en France et en Allemagne s’est certes rapproché. Mais on ne peut se contenter de comparaisons sommaires. Peu regardant sur les chiffres, le gouvernement oublie que le coût annuel d’un salarié de l’industrie demeure supérieur Outre-Rhin. Il oublie aussi que l’heure de travail d’un salarié français est la plus productive du monde.

S’il y a quelque chose à déverrouiller, ce ne sont pas les 35 heures mais bien la question de l’accès pour tous à un travail permettant de vivre dignement. C’est une revendication qui était très largement présente dans les mobilisations pour s’opposer au projet du gouvernement sur les retraites en 2010.|