● Le piège de la démarche qualité et de la labellisation

 

 

Pour la Mairie de Paris et la direction du Centre d'Action Sociale de la Ville de Paris la démarche qualité, la labellisation et l'évaluation seraient la solution à tous les dysfonctionnements.

 

 

 

 

Bertrand DELANOË avait annoncé la couleur dans son discours de communication sur les politiques de solidarité face à la crise du 7/05/2009 :

«(…) nous agirons dans une logique de performance (…) Nous poursuivrons la modernisation des services sociaux de la collectivité parisienne, pour protéger nos concitoyens des effets de la crise. Et nous le ferons en mettant l’usager au cœur de la réforme, car tout travail social doit être évalué...

Nous entendons instituer une culture de l’évaluation. Nous avons donc le souci de déterminer des indicateurs de performance. Un baromètre d’opinion sera mis en place pour connaître l’avis des Parisiens, et notamment des usagers. Des partenariats sont en cours avec des instituts de recherche des évaluations scientifiques de certains programmes».


Décryptage et constat

Le piège de la démarche qualité pour les agents est bien en premier son appellation qui s’avère être une entourloupe.

Au premier abord, qui pourrait être contre une amélioration de la qualité de traitement des demandes d’aide sociale, une amélioration de la qualité de l’accueil, une meilleure qualité de prise en charge de l’usager ?

En s'appropriant ce terme de démarche qualité, la Mairie de Paris et la direction du CASVP mettent tout opposant à ce concept en difficulté : «vous êtes contre l’amélioration de la qualité du travail, contre un meilleur accueil des usagers…» et ainsi, vous êtes montrés du doigt comme adversaire systématique de toute évolution des pratiques pour qu’elles soient «meilleures».

En vérité, la démarche qualité au CASVP cache bien son jeu. Elle essaye de formater toutes les pratiques existantes. Elle analyse et contrôle le fonctionnement de l’aide sociale au travers de statistiques, de tableaux de bord, d’audits et d’expertises réalisés par des cabinets privés extérieurs. Pour finaliser, elle informatise à outrance les procédures.

Son seul but : mobiliser les agents sur des objectifs de production (toujours plus), rentabiliser à l'extrême, redéployer et ce pour en définitive supprimer des postes.

Une fois les postes supprimés, la démarche qualité va essayer d'adapter les agents pour qu'ils fassent plus avec moins dans des conditions de travail détériorées.

La démarche qualité ne s’intéresse pas véritablement au travail des agents, elle prône le résultat comme 1er objectif et à n’importe quel prix… et peu importe l’intérêt que le salarié va trouver dans son travail.

La démarche qualité enlève du sens au travail et notamment au travail collectif puisqu’ici tout est individualisé. Le temps de la réflexion sur le travail effectué et l’intérêt que le salarié en retire n’entrent pas en ligne de compte.

En résumé, la démarche qualité met toute l'expérience acquise par terre et en particulier le savoir des anciens. On ne doit plus réfléchir aux pratiques et les équipes ne doivent plus s’interroger sur leur travail.

On nous demande de faire le travail que la démarche qualité a cadré et encadré, un point c’est tout.

On casse les fondations basées sur le savoir et l’expérience professionnelle et on reconstruit en recherchant une rentabilité immédiate au travers d’un mode de fonctionnement bureaucratique obnubilé par des délais de traitement toujours plus rapides des demandes (d’abord le délai de traitement, avant le contenu du traitement de la demande), une réactivité immédiate (on doit décrocher avant la 5ème sonnerie du téléphone et à la limite tant pis pour la réponse délivrée à l’usager) etc…

On doit tout renseigner dans des statistiques qui se démultiplient en avançant dans le temps (cocher des cases, renseigner des rubriques et ce à tire-larigot et sans rapport avec le véritable traitement de la demande, dans un seul but comptable).

Tout ce qui n’est pas immédiatement rentable doit passer à la trappe…
Tout doit être évalué…

Rouleau compresseur

Basée au départ sur le volontariat, la démarche qualité a en fait trouvé peu de disciples. Les volontaires ont souvent été imposés d’une manière ou d’une autre par les directions locales et les opposants vite écartés.

La démarche qualité a laissé penser aux agents impliqués dans le dispositif qu’ils pouvaient le faire évoluer.

Il s'est agi dans les faits d'un leurre puisque la route était tracée d’avance par les décideurs et les agents bénévoles engagés dans le système n’ont eu aucune marge de manœuvre pour le faire évoluer.
Ils ont dû accompagner...

Les dégâts sont maintenant effectifs

Au fur et à mesure que la démarche qualité avance, elle broie tout sur son passage et impose sa politique :
  • Réception à flux tendu ;
  • Informatisation tous azimuts des procédures ;
  • Évaluation individuelle des agents essentiellement au travers de statistiques basées sur le chiffre...

Les agents n’y trouvent pas leur compte


Le travail devient routinier et inintéressant, l’usager est maintenant un client venant consommer de l’aide sociale comme une marchandise.
La dimension relationnelle de l’accueil est mise à mal, on instruit une prestation comme on sert un hamburger dans un fast-food et l’enfer de la statistique qui nous talonne nous invite à écourter au maximum l’entretien parce qu’il faut être rentable et tenir le délai de traitement imposé par la norme...

Labellisés, mais d’abord cadenassés

Contrôlés sur tout, les agents commencent à s’interroger et renâclent quand du jour au lendemain on leur demande (la SDIS, la direction générale du CASVP, la Mairie de Paris) de toujours faire plus avec moins.
  • Plus de statistiques, plus de chiffres, recevoir plus, traiter plus de dossiers…
  • Avec moins de personnel, moins de disponibilité, moins de travail collectif…

Pour mettre tout cela en musique, des indicateurs de suivi de l’engagement sont imposés.

L’agent au travers de la démarche qualité et de la labellisation sera donc évalué en permanence par des tableaux de bord et des indicateurs de toutes sortes.

La démarche qualité se focalise sur la mesure des temps et des coûts.

On essaye de tout normaliser et on utilise l'outil informatique (PIAF*) pour tracer, fliquer, évaluer.

* Paris Informatisation des Aides Facultatives.
Cet outil nous avait été présenté comme formidable, il allait alléger nos tâches les plus rébarbatives et les plus pénibles. Au final nous nous trouvons face à Big Brother, puisque rien ne lui échappe et qu'il est sensé dire la vérité sur le travail effectué, mais quelle vérité et sur quel travail ?

D’autres outils tels les plannings informatisés d’accueil sont instaurés contre l'avis des agents. Ils font apparaître le nombre de dossiers traités par agent et par jour, le temps de traitement de la demande à la seconde près et toujours dans le même but d’un contrôle du temps de traitement des demandes d’aide sociale au nom de la sacro-sainte qualité.

Tout cela entraîne un changement complet des rapports avec la hiérarchie. Auparavant basés sur la confiance, une certaine solidarité, un esprit d’équipe, la démarche qualité introduit la suspicion et la défiance qui s’opposent à la confiance.

Pourquoi devrions-nous cautionner une démarche qualité qui :
  • dégrade nos conditions de travail ;
  • rend notre travail plus difficile et moins intéressant ;
  • engendre des conflits avec les chefs de service sommés d'appliquer l'évaluation à la lettre.
L'introduction de la performance, de l'évaluation permanente par la direction et les usagers va compliquer très sérieusement un travail de plus en plus difficile.

C’est ce qu’ils appellent la construction d’un système de management par la qualité

Dès 1999, la CGT avait émis les plus grandes réserves sur la démarche qualité qui introduisait l’évaluation comme axe principal de management au CASVP.

Nos craintes étaient fondées :
  • La démarche qualité cautionne de nouveaux audits en aval et en amont ;
  • Le client mystère a fait irruption dans les sections d’arrondissement, il a laissé derrière lui un arrière goût, puisque le personnel ressent cette pratique comme déloyale et vicieuse ;
  • Les agents sont maintenant évalués aussi «par les clients» au travers de questionnaires où l’usager doit s’inscrire en délateur.
La finalité de la labellisation est d’impliquer les agents dans un processus d'auto-transformation d’eux-mêmes selon les normes du rendement et de la productivité.

Tout est sujet à économies budgétaires, nous assistons à la déqualification programmée des agents instructeurs puisque les secrétaires administratifs partant en retraite sont systématiquement remplacés par des adjoints administratifs.

Le grand danger de cette approche, c'est qu'elle privilégie la logique de rentabilité au détriment de la qualité du service rendu aux usagers et des conditions de travail des agents.

Ce type de méthode a abouti à des dégâts non seulement sur les conditions de travail des salariés (La Poste, France Télécom, Renault…), mais aussi sur la qualité du service rendu.

Lors des derniers CTP (comités techniques paritaires), la CGT a pointé la crainte des agents quant à leur avenir professionnel du fait des réorganisations de service téléguidées par la démarche qualité et sa recherche du graal, la labellisation :
  • Où serons-nous demain ?
  • Pour quelles nouvelles fonctions ?
  • Avec quelles dégradations des conditions de travail ?
  • Avec quelle reconnaissance de notre expérience professionnelle ?
  • Ou plutôt avec quelle destruction de nos savoirs et de notre expérience professionnelle ?
La labellisation c'est plus de contraintes pour les agents, une pression et un stress accentués, pour quel remerciement ?

Dites-le nous, Mr Sylvain MATHIEU ?